Citation de la semaine 51
- Grégoire Taconet
- 4 août
- 2 min de lecture
Dernière mise à jour : 5 août

"Un homme vient te demander de l’aide. La différence de nature entre ton rôle et le sien dans cette situation est évidente. Il vient te demander de l’aide à toi. Tu ne viens pas lui demander de l’aide à lui" Martin Buber
Le philosophe Martin Buber est connu pour son livre Je et Tu, dans lequel il détaille une vision exigeante de la relation (pour aller très, très, très vite, un "Je et Tu" qui s'appuie sur l'accueil et la rencontre est opposé à un "Je et Cela" qui sera plutôt marqué par l'objectivisation voire l'utilisation), et qui a eu une influence majeure sur les thérapies du courant humaniste.
Cette phrase est extraite d'un échange avec Carl Rogers. Rogers met la relation au cœur de la thérapie, s'est donné les moyens de créer une vraie horizontalité (au point que son approche s'est d'abord appelée "thérapie non-directive") non seulement dans l'espace thérapeutique mais aussi, ce qui n'a pas été sans, disons, provoquer des réactions, dans le domaine de la pédagogie. On pourrait donc s'attendre à ce que Rogers et Buber soient d'accord sur tout, voire que le débat consisterait à les voir se couvrir d'éloges l'un et l'autre.
Et pourtant, non seulement ils ne sont pas d'accord sur tout, mais Buber va soulever des points qui n'arrangent vraiment pas Rogers. Pour lui, malgré la non-directivité, malgré la croyance profonde que la personne accompagnée a les ressources pour sortir des souffrances, du blocage, qui l'amènent à consulter, croyance sans laquelle le processus thérapeutique ne peut tout simplement pas fonctionner, le·a thérapeute est dans une position de surplomb. Il va même enfoncer le clou, au cas où ce ne serait pas suffisamment clair : "Tu peux faire une chose dont il n'est pas capable. Vous n'êtes pas et ne pouvez pas être égaux."
Le rappel est inconfortable, mais à mon sens particulièrement important. Le travail considérable de Carl Rogers, l'intégration la plus profonde des principes de l'Approche Centrée sur la Personne, certes changent de façon fondamentale ce qui se déroule dans l'espace thérapeutique, mais ne pourront jamais suffire à effacer l'asymétrie qui réside dans la différence entre le statut de thérapeute et celui de personne accompagnée. L'une des deux personnes assiste, met ses compétences à disposition, garde ses ressentis, sa vision du monde, à la bonne distance, l'autre est dans une situation de vulnérabilité, a besoin d'aide, va s'engager sur un chemin qui risque, serait-ce temporairement, de la fragiliser davantage.
C'est pour ça, pour commencer par le plus évident, qu'on ne pourra jamais faire l'économie de codes de déontologie (non, l'horizontalité et l'importance attachée à l'autodétermination ne sont certainement pas une bonne raison pour éviter de se demander si un éventuel cadeau, un niveau d'investissement dans la thérapie qui questionne, sont vraiment faits librement), et plus profondément que, même d'un point de vue strictement thérapeutique, cette asymétrie doit être un sujet de vigilance constant. Volontairement ou non, le statut de thérapeute amène à être plus écouté·e quand on juge (positivement ou négativement), qu'on influence, qu'on prescrit (implicitement ou explicitement), ce qui survient même dans des échanges dont le pilier est l'écoute.
Nier qu'on ne peut être rogérien·ne que jusqu'à une certaine limite... c'est être moins rogérien·ne.
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