"Mais bon, vous savez, je trouve ça bien plus facile de souffrir que de régler tous mes problèmes"
Une blague qui tient en une phrase, qui peut faire sourire ("en effet, si seulement c'était plus simple de changer!"), agacer ("non mais quelle condescendance!") ou qu'on peut trouver confortable ("c'est bien vrai ça, pour se plaindre il y a du monde, mais quand il faut se bouger à chaque fois il n'y a plus personne... je ne vais pas m'abaisser à prendre ces gens là au sérieux"). Pour moi, elle met surtout le doigt sur un sujet complexe...
Bien sûr, des fois il suffit d'un déclic pour régler un problème. Et on ne va pas faire semblant, c'est mieux quand c'est comme ça!
Mais le plus souvent, régler ses problèmes, c'est passer d'un équilibre à un autre. Dire non à une personne qui nous fait du mal, c'est s'exposer au rejet, c'est aussi dire non à ce à quoi on a cru dans la relation avec cette personne. Quitter un travail qui nous use, c'est s'exposer à une insécurité matérielle, et puis cette réorientation qui était tellement pleine de promesses de loin, est-ce qu'on y a pas placé un peu trop d'attentes? Oser faire quelque chose qu'on s'interdisait, c'est prendre le risque d'un échec, potentiellement cuisant.
Pour autant, en attendant, la personne nous fait bel et bien du mal, le travail usant n'est pas moins usant parce que c'est difficile de le quitter, la frustration de ne pas oser reste douloureuse.
Choisir c'est renoncer. Certes, ne pas choisir, c'est garder l'illusion qu'on peut faire les deux choix à la fois, mais c'est aussi garder la liberté de faire ces deux choix, parce que ce n'est peut-être pas encore le moment de trancher. Ça ne veut pas dire que la souffrance est surjouée.
Régler ses problèmes, c'est passer d'un équilibre à un autre... et l'équilibre qu'on a aujourd'hui, même si on veut le quitter, a aussi sa raison d'être.
Il peut correspondre à des choix du passé qui n'étaient pas moins légitimes que ceux vers lesquels on s'oriente aujourd'hui.
Il peut répondre à des exigences, des critères de réussite, qui viennent de soi ou des autres, avec lesquels on a pris des distances.
Il a pu aussi être un moyen de se protéger. Par exemple pas savoir dire non, adulte, c'est dangereux. Mais quand on a grandi dans un climat de violence intrafamiliales, savoir contrarier le moins possible les personnes abusives, enfant, ça peut être une question de survie. Et on ne désapprend pas quelque chose qui nous a permis de survivre en un claquement de doigts.
Donc oui, on peut trouver plus facile de souffrir que de régler tous ses problèmes. Parce que régler tous ses problèmes, souvent c'est dur, et peut-être que ce n'est pas encore le moment. Mais bien entendu les souffrances n'en sont pas moins réelles et légitimes. Et prendre conscience de cet équilibre délicat, c'est déjà une avancée importante.
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