"Si un ingénieur ne sait pas ce qu'il fait, il doit arrêter de le faire. Si un chercheur sait ce qu'il fait, il doit arrêter de le faire."
Je dois cette citation à Le Nguyen Hoang, excellent vulgarisateur puisqu'il a réussi à m'intéresser aux maths (sa chaîne YouTube : Science4All). Lui-même ne sait pas d'où il la tient, et Google ne m'a pas énormément aidé, puisque le moteur de recherche me redirige... vers lui.
Difficile de faire une meilleure analogie de la situation paradoxale du ou de la thérapeute. D'un côté, accompagner des personnes est une énorme responsabilité. On doit se constituer une expertise, la plus solide possible, en amont, pour offrir le meilleur et garantir, avec tous les risques que le travail sur soi implique, un certain niveau de sécurité.
Mais d'un autre côté, le psychisme humain est d'une complexité infinie. D'une part, ça implique qu'on fait par définition le choix d'accompagner avec une expertise incomplète, puisque continuer de se former, être supervisé·e, fait partie intégrante du métier de thérapeute. D'autre part, cette complexité repose sur des grilles de lecture distinctes, parfois contradictoires, et un équilibre est à trouver entre comprendre plus finement et de façon plus complète tel ou tel aspect, et garder un esprit critique pour percevoir ses limites.
"Quand on a la tête en forme de marteau, on voit tous les problèmes sous forme de clou"... quand le problème est effectivement un clou, c'est parfait d'avoir le marteau le plus perfectionné possible, mais si ça rend incapable d'identifier que l'obstacle n'est pas un clou, évidemment ça ne va plus.
Le·a thérapeute est donc, selon cette analogie, à la fois ingénieur·e et chercheur·se, dans la mesure où iel doit à la fois proposer la meilleure solution, et s'interroger constamment sur les limites des solutions proposées.
Ça vaut, évidemment, au niveau théorique : "est-ce que ma méthode est appropriée pour la personne que j'accompagne? Pour son besoin ici et maintenant? Comment optimiser ma pratique de cette méthode pour y répondre au mieux?". Mais ça vaut aussi au niveau pratique, dans chaque accompagnement au quotidien.
En effet, quelle que soit l'approche, l'idée est de comprendre le mieux possible la personne accompagnée. Pour un·e psychanalyste, quels sont les mécanismes inconscients qui la ralentissent? Pour un·e thérapeute TCC, quel est le programme le plus adapté à lui proposer, qui peut l'amener à ses objectifs tout en respectant son rythme? Pour un·e praticien·ne des thérapies systémiques, quel nouvel équilibre trouver? Dans le cas de l'Approche Centrée sur la Personne (la meilleure approche, en toute objectivité), comment l'amener à la meilleure compréhension de ce qu'il se passe ici et maintenant?
Sauf que, et c'est même la première citation que j'ai proposée dans cette rubrique, "les gens sont plus compliqués que les psychologues aimeraient qu'ils ne le soient." Donc là encore, le·a thérapeute se trouve dans cette situation paradoxale où iel doit faire confiance à son expertise, parce que c'est ça que la personne accompagnée vient chercher, c'est à ça que servent le temps et l'énergie passés à se former, sous toutes les formes que ça peut prendre, et rester humble.
Je ne vais pas rajouter "chercheur et ingénieur" sur ma carte, déjà parce que j'ai la flemme de tout réimprimer, et aussi parce que, quand même, ça fait grandiloquent. Mais c'est une bonne boussole, même si elle a la spécificité de pointer deux directions contradictoires.
Comments