Robert Altemeyer est non seulement psychologue mais... chercheur en psychologie sociale, depuis des dizaines d'années. Cette phrase est extraite de son livre "The Authoritarians", dans laquelle il livre un portrait très documenté mais moyennement flatteur des personnes les plus sensibles à un discours autoritariste.
Cette phrase est bien vue bien au delà du contexte du livre. En effet, être psychologue ou thérapeute, c'est accumuler énormément de connaissances sur l'humain et le psychisme, en deux mots... chercher à comprendre! Un aspect selon moi sur lequel il faut rester vigilant·e, en dehors du fait qu'on ne peut pas tout savoir (mais ça en général on s'en rend vite compte, et c'est plutôt une sensation qui va en se renforçant!), c'est que les connaissances ne donnent pas la clef d'une objectivité magique et inébranlable : elles sont obtenues certes avec une méthodologie qu'on peut espérer rigoureuse, mais par des personnes elles-mêmes subjectives, dans un contexte spécifique, ... Certes on a laborieusement appris tel ou tel élément, et ça nourrit notre pratique, et je ne suis vraiment pas en train de recommander de pratiquer sans connaissances, mais ça n'en fait pas la vérité. Par ailleurs, évidemment, ce qui est alors fourni est un modèle de compréhension, une grille de lecture, pas un mode d'emploi exhaustif de chaque personne individuellement (et heureusement... brrr).
L'enjeu qui en découle, et qu'on peut vite être tenté d'oublier, c'est que chaque modèle thérapeutique attire l'attention sur un aspect spécifique de l'humain, a une conception, plus ou moins souple, de ce qui est préférable ou non. Une thérapie, c'est fait pour permettre d'aller mieux, ça implique donc de définir ce que veut dire aller mieux ou moins bien, ce qui peut être extrêmement normatif! C'est d'ailleurs un sport assez populaire en psychothérapie d'accuser d'autres modèles de coller des étiquettes au gens et de ne pas voir l'humain (c'est encore mieux avec un ton grandiloquent), ce qui peut donner lieu à des débats intéressants sur le fond quand les arguments sont sérieux des deux côtés, mais ne doit pas faire oublier qu'on ne peut pas échapper, dans une certaine mesure, à cet aspect, qu'on le veuille ou non, et quoi qu'on revendique.
Tiens, un exemple de choses qu'on apprend en psychologie, ce sont les biais cognitifs. Daniel Kahneman en est un grand spécialiste, le travail qu'il vulgarise dans Système 1/Système 2 a d'ailleurs eu un prestigieux prix d'économie. Pour autant, il déplore que tout son travail lui a permis d'identifier les biais cognitif chez les autres, plutôt que chez lui. Et l'un des biais qu'il évoque a le nom improbable mais... clair de "Ce qu'on voit c'est tout ce qu'il y a". Ça va de soi que les thérapeutes n'y échappent pas : quand on a appris, dans la théorie et/ou dans la pratique, à être vigilant·e à certaines choses en priorité, à s'attendre à tel ou tel déroulement de la thérapie (ce qui, encore une fois, est indispensable pour pratiquer), c'est une démarche pro-active, en temps réel, de prendre des distances et d'observer ce qui se trouve hors de ce qu'on s'attend à observer, de trouver un équilibre entre l'attitude professionnelle, experte, pour laquelle la personne qu'on accompagne vient a priori nous voir, et l'espace laissé à la rencontre et à la remise en question.
En écrivant ce post, j'aime encore plus la citation d'Altemeyer parce qu'il m'a fallu trois paragraphes là où il ne lui a fallu qu'une phrase!
Et, oui, la photo d'illustration de l'article est celle qu'il met sur son site pour se présenter! Je ne vais donc pas lui faire l'offense de mettre une photo plus académique. Pour télécharger gratuitement l'excellent livre (en anglais) dont la citation est extraite, qui rentre dans les détails techniques mais reste accessible même sans être psy : https://theauthoritarians.org/options-for-downloading-authoritarian-nightmare/?fbclid=IwZXh0bgNhZW0CMTAAAR10xnCgS-HPur59vuTbYh4fxkyjlDq31bV9WVNrkbsOxBFDkTw6LoWETuQ_aem_AYIXNc7WqIFIDUU9SMwhjbr7Xb_y7WHobSQV8zFJaZ2TKZLs2ySo7pJp2JRmxDNv81HWka1IHb9JbHvB2vXtJESP
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