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Encanto, apprendre à ouvrir des portes après avoir construit des murs

  • Photo du rédacteur: Grégoire Taconet
    Grégoire Taconet
  • il y a 3 jours
  • 7 min de lecture

Dernière mise à jour : il y a 2 jours

Affiche du film Encanto. Mirabel, souriante, est au premier plan, sa famille pose derrière elle

A la fois riche et marquant, je trouve ce film absolument incroyable, au point d'être presque tenté de penser qu'il devrait faire partie de la formation de tout·e thérapeute. Bon, l'inconvénient, c'est que je vais nécessairement être frustré par cet article, mais il faut bien se lancer (surtout que les deux suivants vont aussi être sur Encanto, dans la logique de ma tendance à être dans la modération).


Pour les personnes qui n'ont pas vu le film et n'ont pas l'intention de le voir avant de lire cet article, que je ne juge pas (bien sûr que si, je vous juge très fort), un résumé de l'histoire : la famille Madrigal vit depuis 3 générations dans une maison magique, apparue à celle qui est aujourd'hui la grand-mère au cours d'un miracle qui a sauvé sa vie, celle de ses triplés, et celle des personnes qui voyageaient avec elle pour fuir des persécutions. Lors d'un rituel important au cours de l'enfance, chaque membre de la famille se voit accorder un pouvoir... sauf Mirabel, qui se sent exclue, sensation qu'en dehors de ses parents et son plus jeune cousin sa famille n'aide pas vraiment à surmonter. C'est justement le jour du rituel pour son cousin (qui lui se voit accorder un pouvoir, ouf, la magie ne s'est pas brisée avec Mirabel!) qu'elle voit la maison se fissurer.


Elle alerte tout le monde, mais le temps que d'autres personnes arrivent, les murs se sont réparés. Sauf que plus elle est vigilante, plus elle fait d'investigations, plus elle s'aperçoit qu'il y a un problème plutôt urgent, et que sa grand-mère qui fait dans le "circulez, il n'y a rien à voir" avec énergie est parfaitement au courant et n'est pas particulièrement rassurée. Elle découvre aussi qu'elle est au centre d'une prophétie liée à cette situation, découverte qui malgré ses efforts de discrétion finit par s'ébruiter, sur fond de désagrégation aussi accélérée que spectaculaire de la maison, au cours d'un repas épique où sa sœur Isabela devait se fiancer. Les fiançailles sont annulées : en effet, scandale, l'imperfection, la vulnérabilité de cette famille, pilier de tout le village, sont apparus, ce qui est jugé inacceptable par la mère du promis.


Juste après cet incident, Mirabel finit par retrouver Bruno, l'auteur de la prophétie, son oncle disparu dont le nom est tabou dans la famille, qui est caché dans la maison et répare comme il peut les fissures : son pouvoir est un don de voyance, et le moins qu'on puisse dire c'est que ça ne l'a pas rendu populaire. Quand il a eu une vision révélant que Mirabel allait être au centre de quelque chose d'important, il a préféré fuir plutôt que la partager, parce qu'il avait la certitude que ça allait retomber sur elle. Il accepte avec réticence de faire à nouveau appel à son pouvoir : apparaît la marche à suivre pour tout réparer, qui est que Mirabel fasse un câlin à... Isabela. Léger problème : elle vient (de l'avis général, en tout cas, c'est elle la responsable) de gâcher ses fiançailles, et surtout elle ne peut vraiment pas, mais alors vraiment pas, l'encadrer.


Après une tentative de diplomatie très artificielle qui avait zéro chances de marcher (voire des chances négatives), leurs colères respectives explosent, et Isabela découvre que, si son pouvoir était de faire pousser des fleurs magnifiques qui allaient si bien avec la beauté absolue mais lisse qu'elle incarne, elle peut aussi faire pousser, entre autres choses, des cactus et des lianes, et elle trouve ça beaucoup plus cool! Le câlin arrive et est spontané, sincère, sauf que juste après la grand-mère arrive et a deux mots à dire à Mirabel depuis le repas qui a eu lieu quelques heures plus tôt. S'ensuit un échange vif entre elles où chacune accuse l'autre d'être responsable (mais pas avec la même intention : Mirabel veut trouver la vraie cause pour réparer, la grand-mère veut un·e responsable à blâmer) pendant lequel la maison achève de s'écrouler et la magie, matérialisée par une bougie, s'éteint, non sans avoir utilisé ses pouvoirs une dernière fois pour éviter à Mirabel d'être ensevelie sous les gravats.


Désespérée et profondément blessée, elle s'enfuit. Sa grand-mère la retrouve au bord de la rivière où le miracle initial a eu lieu, et lui raconte ce moment (récit mis en scène par la chanson Dos oruguitas devant laquelle c'est impossible de rester de marbre, c'est une loi de la physique) : le miracle a certes sauvé sa vie, celle des futur·e·s villageois·e·s et celle des triplés qu'elle tenait dans ses bras, mais pas celle de l'homme de sa vie qui a été assassiné devant elle. Elle s'est aussi remise en question : Bruno et Mirabel ne sont pas des ennemi·e·s, la maison détruite peut se reconstruire à plusieurs (y compris par les villageois·e·s auxquel·le·s il n'est pas nécessaire de donner une image de toute puissance et ne ressentent pas spécialement le besoin d'être servi·e·s) et n'a aucunement besoin d'être parfaite. Un nouvel équilibre, plus collectif, plus flexible, va émerger.


C'était un peu long, mais je vous avais dit, aussi, de plutôt regarder le film! Et ce que la structure éclaire, c'est que le récit montre magnifiquement toutes les limites de la rigidité... avant de lui donner de la valeur.


En effet, je ne m'attendais pas à penser à Encanto en lisant La Familia Grande, qui parle d'inceste, mais les points communs sont frappants : une famille qui de l'extérieur donne une image de bonheur absolu et inspirant (et accessoirement de puissance et de prestige aussi), sauf que pour qui a le malheur de s'écarter du modèle prescrit d'un millimètre, la sanction tombe! La famille Madrigal porte le village, organise des fêtes, peu importe la pression que représente cette distribution de bonheur unilatérale (le mot "parfait" revient très, très souvent). Et surtout, quand quelque chose ne va pas, il importe de le mettre sous le tapis. Dans le premier dialogue entre elles, la grand-mère dit à Mirabel enfant "ouvre les yeux" : le moins qu'on puisse dire, c'est que le respect de cette consigne va lui retomber dessus! Et ça finit par être compliqué de trouver de la place sous le tapis à force d'y mettre des choses : Bruno l'a bien compris en choisissant la fuite, la mère de Mirabel, qui sait pourtant prendre son parti face à sa propre mère, fait comprendre à sa fille que la discrétion est plus prudente (pour ne pas finir, justement, comme Bruno), l'affaiblissement de la magie DOIT être tu alors qu'il se fait de moins en moins discret et ne pas en parler c'est ne pas chercher ensemble de solutions, Isabela ne dit pas qu'elle n'a aucune envie de se marier avec son fiancé, Luisa (l'autre sœur de Mirabel) ne parle pas des moments où sa force titanesque fléchit jusqu'à y être poussée et exploser...


L'une des stratégies de silenciation, particulièrement violente, est la désignation de boucs émissaires : il ne se passe rien, mais si il n'y a plus le choix de dire qu'il se passe quelque chose, c'est à cause, et uniquement à cause, de Mirabel et/ou de Bruno. Le tabou autour de Bruno est une règle acceptée sans discussion, et même un mantra. Ce qui a lieu en présence de Mirabel ou est révélé par elle est de sa faute même si rien, absolument rien, ne l'indique. De toutes façons, elle n'a pas eu de pouvoir, c'est suspect (ça en fait surtout une cible facile)... pas étonnant, avec cette ambiance, qu'elle ait du mal à trouver sa place même quand tout va encore bien. Plus les problèmes prennent de place, plus le déni, plutôt qu'une facilité ponctuelle, devient une stratégie à part entière qui se substitue à la recherche de solutions, et plus les personnes qui ne respectent pas la règle du silence sont confondues avec le problème, une situation qu'on retrouve aussi dans... La Familia Grande (où très malheureusement il n'y aura pas de remise en question).


Mais l'attitude de la grand-mère s'éclaire quand on comprend d'où elle vient : le deuil déchirant de son époux (elle s'adresse d'ailleurs à lui -"on ne peut pas perdre à nouveau notre maison", "Aide-moi à protéger notre famille. Aide-moi à sauver notre miracle"- quand elle s'alarme de l'affaiblissement du pouvoir), la responsabilité de la survie de leurs trois enfants et des personnes parties avec eux, ... Une responsabilité qu'elle a porté seule, avec une intransigeance à la hauteur de ses souffrances et de son sens du devoir envers ses enfants, mais aussi envers celui qui n'est plus à ses côtés dont l'héritage doit être à la hauteur du deuil. Sauf que, comme le lui fait remarquer Mirabel, sur le long terme, l'intransigeance absolue, ça ne peut pas tenir : elle place la barre à une hauteur par essence inatteignable (quel niveau d'accomplissement pourra réparer ses blessures? à quel moment elle pourra se dire qu'elle en a fait assez pour l'homme de sa vie?), et comme il se doit ses sœurs ne tiennent plus... mais comment accepter les limites des autres quand on a autant dû nier les siennes?


La grand-mère de Mirabel finit par se remettre en question parce que malgré le mal qu'elle a fait, parfois forcément en connaissance de cause (ne pas voir qu'Isabela et Luisa n'étaient pas heureuses, c'est une chose, renforcer les blessures de Mirabel et pousser Bruno à fuir, c'est est une autre!), ce qui l'animait n'était pas une malveillance ni une recherche de pouvoir (pourtant, de fait, du pouvoir, elle en avait!), mais une mauvaise compréhension de comment protéger sa famille. De fait, il a fallu qu'elle prenne sur elle, qu'elle porte tout, à un moment traumatisant. Ses responsabilités ont réellement été immenses. Rien d'étonnant, donc, à ce qu'elle ait appris la règle que le miracle allait se cultiver par "le travail et l'abnégation" (et si ça ne marche pas, la réponse c'est évidemment encore plus de travail et d'abnégation). Mais deux générations plus tard, la situation est différente, et les règles sont différentes. Et surtout, l'objet des changements n'est pas de faire disparaître l'héritage mais de l'honorer dans de bonnes conditions, en lui donnant toute sa dimension. Si tout détruire c'est plus pratique pour reconstruire, la famille aurait peut-être gagné à faire confiance, donner à chacun·e l'espace pour s'épanouir, avant que la maison ne s'écroule.


Ce qui se passe à une échelle générationnelle, collective, dans le film, permettant de lui donner une portée bien plus forte, peut aussi se passer au niveau individuel. C'est la notion de crise en Approche Centrée sur la Personne : quand les ressources ne permettent plus de faire face aux circonstances, un changement en profondeur est parfois nécessaire, libérateur à terme mais terriblement éprouvant sur le coup. D'ailleurs, si j'adore ce concept en théorie, je l'aime étonnamment beaucoup moins quand ça m'arrive à moi ou que ça arrive à l'un·e de mes client·e·s! La dimension collective de la crise du film est aussi l'opportunité de donner toute sa place à l'importance de la relation : dans cette famille si unie, si enjouée, les différents membres n'étaient pour l'essentiel pas en relation, se percevant et percevant les autres à travers leur fonction, leur pouvoir, n'échangeant pas à un niveau vraiment personnel voire ne se demandant pas ce qui est important pour eux et elles, ... des sujets que je vais développer dans les deux prochains articles.


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Grégoire Taconet Psychopraticien ACP

 

Membre de la FF2P et de l'AFP-ACP

Directeur de mémoire pour ACP France

Cabinet Via Sana

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gtacp@orange.fr

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Crédit photos : Donatien Gnackli ZEBI

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