Citation de la semaine 44

"On n'est pas entrés dans une secte! Personne n'entre dans une secte! Personne! On entre dans quelque chose de bien! Et après on se rend compte qu'on s'est fait niquer! Personne ne dit "Ouais! J'ai envie de faire partie de ce truc de merde débile qui va détruire ma vie et tous ceux que j'aime." " Mark Vicente

Mark Vicente a non seulement bel et bien fait partie de la secte NXIVM, mais il en a été l'un des cadres principaux pendant des années. Il a, avec énergie, monté les échelons, recruté, convaincu, co-élaboré les programmes. Il a subi des violences (manque de sommeil, surcharge de travail, disponibilité constante, dénigrement, ...) mais aussi participé à des violences, envers les membres, tout en étant convaincu d'être au service de leur bien-être supérieur (oui, sortir de sa zone de confort, dépasser ses limites, être capable de tout encaisser euh pardon se libérer de ces faiblesses qui nous emprisonnent, ça sonne super bien -par exemple dire "non" à un ordre, ce n'est pas exercer son libre arbitre, c'est écouter ses peurs et se condamner à rester dans un carcan-), mais aussi au harcèlement de cadres parti·e·s avant lui.

Cette tirade a lieu dans l'avant dernier épisode de la saison 1 de la série The Vow, documentaire sur cette secte, à un moment où il est confronté, avec son regard d'aujourd'hui, à un comportement particulièrement insupportable qu'il a eu par le passé. Oui, il sait pourquoi il ne l'a pas perçu comme il aurait dû le percevoir. Mais il aurait pu, il aurait dû, se poser plus de questions. Ça aurait dû, déjà à l'époque, le révulser. D'ailleurs, s'il a fini par partir, et faire partie des personnes les plus actives pour faire tomber la structure et son dirigeant, quand il a été confronté à l'information de trop qui rendait toutes les justifications impossibles (une secte dans la secte, réservée aux femmes, où l'emprise allait encore plus loin, et dont le gourou niait l'existence), il s'est probablement souvent demandé pourquoi il ne l'avait pas fait avant, par exemple quand son épouse a quitté la secte : en plus d'avoir de bonnes raisons de penser que quelque chose, fondamentalement, n'allait pas (il suffisait de l'écouter), il a préféré rester et mettre son mariage en danger.

Ce documentaire montre la grande complexité des sujets de l'aliénation et du libre arbitre. Si Mark Vicente a été complice de violences à une aussi grande échelle, c'est parce qu'il croyait sincèrement à des principes, sans interroger suffisamment leur mise en œuvre. Mais, s'il est parti, c'est aussi parce qu'il croyait à des principes : rester, c'était plus de revenus, pas de risque de harcèlement et de violences de la part des anciens membres, et pas de remise en question, donc beaucoup, beaucoup moins de culpabilité. Et s'il est difficile d'estimer que sa culpabilité n'est pas justifiée, plus on va loin, plus c'est difficile de faire marche arrière (un principe que l'expérience de Milgram, par exemple, montre de façon particulièrement sombre... et dans l'expérience de Milgram il n'y a pas d'enjeux matériels ni relationnels).

Ce contraste entre le regard extérieur et le regard de la personne dans l'instant où elle vit la situation est particulièrement parlant : si le comportement paraît trop grotesque (que ce soit pour une secte ou une dérive sectaire, une relation abusive, une arnaque qui paraît ostensible), c'est probablement qu'il a été mal compris. Ça ne veut pas dire excuser par avance la personne qui a participé à des violences, potentiellement s'est enrichie au passage, mais l'argument parfois tentant de la naïveté empêche de comprendre les vrais mécanismes.