
"Il faut que les humains deviennent meilleurs sinon nous allons tous disparaître, et même si nous ne disparaissons pas, il est certain que notre espèce vivra dans un état de tension et d'anxiété"
Abraham Maslow
Cette citation de Maslow date de 1971. Après l'expérience de la Seconde Guerre Mondiale, dans un contexte de guerre froide entre puissances détentrices de l'arme atomique, il y a de bonnes raisons de penser que quand il parle de disparition, ce n'est pas métaphorique. Aujourd'hui, un homme imprévisible, déjà responsable d'une tentative de coup d'état, dont les sympathies avec les idéaux totalitaires ne sont absolument pas dissimulées, est à la tête de la plus grande puissance mondiale. Il n'est pas question de risque de disparition de l'humanité au sens propre, mais c'est une situation profondément inquiétante, qui paraissait impensable il y a quelques années.
Abraham Maslow était psychologue et chercheur. Quand il dit "il faut que les humains deviennent meilleurs", ce n'est pas bien entendu un simple souhait, mais l'énonciation de l'enjeu de son travail. Il faut, rien que ça, améliorer l'humanité, et il y a urgence!
Si cette phrase fait écho aujourd'hui, c'est parce que les sciences humaines ont un rôle à jouer. Il ne s'agit certainement pas d'une baguette magique. Il suffit encore moins d'être chercheur·se en sciences humaines, ou psychologue (ou thérapeute!) pour prendre constamment des décisions qui poussent, collectivement, l'humanité dans le bon sens, à supposer que ce soit possible. Mais si je peux affirmer que les sciences humaines ont un rôle à jouer, c'est parce qu'elles sont ciblées par les personnes qui apprécient la mélodie des sirènes totalitaires. Jair Bolsonaro avait supprimé les subventions publiques des études de sociologie et de philosophie. Les recherches parlant de genre et de racisme sont souvent, aux Etats-Unis mais aussi en France, diabolisées et présentées comme militantes (elles peuvent l'être, ou non, ce sont des recherches, la question est de savoir si elles sont rigoureuses). Il y a quelques années, par exemple, une Ministre de l'Enseignement supérieur a demandé une "enquête sur l'islamo-gauchisme" dans les universités, sujet qui était inexistant et pour lequel l'enquête n'a évidemment rien donné, mais dont la médiatisation a été au service d'une panique morale contre les critiques dont Emmanuel Macron pouvait être l'objet dans son rapport à la laïcité. Dans un contexte particulièrement tendu, Manuel Valls, premier ministre, était allé jusqu'à clamer "Expliquer, c'est un peu vouloir excuser", propos absurde au service d'un obscurantisme assumé.
Les sciences humaines, ce n'est pas seulement "rendre l'humain meilleur", d'ailleurs souvent ce n'est pas ça tout court (et Abraham Maslow lui-même avait des positionnements que je ne qualifierais pas de particulièrement humanistes). Mais c'est donner des outils descriptifs, argumenter à partir de données recueillies rigoureusement, c'est la sortie du "c'est évident" et surtout du "c'est vrai parce que je l'affirme". Dans Tribus Morales, Joshua Greene donne l'exemple d'un professeur de droit interpellé par un négationniste, qui réclamait un débat. Il a fini par accepter le débat, mais seulement s'il était précédé de deux autres débats, l'un sur l'existence du Père Noël, l'autre sur la Terre plate. Parce que la réalité des camps de concentration, ce n'est pas une question de rhétorique, ça a été tranché par un travail en amont qui ne peut pas être mesuré de façon satisfaisante dans l'espace d'un débat.
Dans son premier mandat, Trump est allé jusqu'à assumer le terme de "vérité alternative". C'est allé en s'accélérant depuis : la vérité n'est pas importante, ce qui l'est c'est l'affirmation, c'est ce qui sonne le mieux, c'est la foi dans la personne plutôt que dans les preuves. Une tendance renforcée chez certaines personnes et par certains contextes, c'est documenté (encore des sciences humaines!) par le travail de Robert Altemeyer sur la personnalité autoritaire. George Orwell l'avait déjà magnifiquement illustré dans 1984 : quand la vérité n'est plus un sujet, c'est le règne de l'arbitraire, du rapport de force. Le rêve pour un·e dirigeant·e qui trouve que le totalitarisme est plus commode que cette encombrante démocratie avec ses contre-pouvoirs.
Que les humains deviennent meilleurs individuellement, selon moi, ce n'est pas vraiment un sujet. Mais, collectivement, je rejoins Abraham Maslow sur l'importance de l'enjeu des sciences humaines. Malheureusement, on a pu l'observer de beaucoup trop près.
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