"Si une personne alcoolisée, titubant dans la rue, vous crie "Tu fais tout le temps de la merde! Tu n'as aucun talent! Démissionne de ton travail!", comment est-ce que vous allez réagir? Soit vous allez l'ignorer et passer votre chemin, soit, si elle tape là où ça fait mal, vous allez lui répondre intérieurement : "Je viens de rendre un rapport qui va nous sortir la tête de l'eau", "je viens d'être nommé vice-président", "de toutes façons, il ne sait rien sur moi, ce n'est qu'un ivrogne."
Mais qu'est-ce qu'il se passe quand vous vous criez à vous même des choses aussi dures? Vous les croyez. Vous ne les remettez pas en question."
Martin Seligman
L'analogie du créateur de la psychologie positive est parlante : les voix intérieures qui nous dénigrent, parfois avec une grande violence, parfois très régulièrement, ne sont pas l'incarnation d'une vérité. Ça va même plus loin, et c'est là que l'analogie gagne toute sa pertinence : elles n'ont rien, absolument rien, de fiable.
Seligman le démontre en détail dans La force de l'optimisme : se dénigrer, ce qui en plus d'être douloureux entretient un sentiment d'impuissance, en particulier si à chaque déconvenu·e on est convaincu·e que le problème vient de nous, que le problème qu'on subit arrive à chaque fois, et/ou que la situation est représentative de notre vie en général, vient d'une façon de voir le monde, plutôt que d'une représentation objective. En d'autres termes, se dénigrer trop souvent, c'est rentrer dans un cercle vicieux : on renforce ces croyances, chaque difficulté qu'on rencontre s'inscrira dans cette narration, ce qui semblera confirmer l'impression qu'elle est vraie.
Bien sûr, ça peut aller bien plus loin que juste une histoire d'état d'esprit. Ça peut venir d'un passé de dénigrement, d'une accumulation d'échecs qui a été décourageante, ou d'une infinité d'autres causes qui n'aideront vraiment pas à prendre des distances, déclic ou pas. Mais, simplement prendre conscience que ces pensées sombres sont une histoire qu'on se raconte, ça permet un pas de côté qui peut au mieux être salvateur, au minimum aider. Et pour ça, l'analogie particulièrement éloquente de Seligman donne un joli coup de pouce!
Ça, c'est la perception que j'ai eue pendant un certain temps. Je l'ai encore, en grande partie, et c'est une analogie que j'aime utiliser avec mes proches ou mes client·e·s (ou avec moi, dans les moments où j'en ai besoin!). Mais je vois aujourd'hui la seconde partie de façon plus nuancée : les voix intérieures, si elles n'ont rien de fiable a priori, viennent de nous. Et... est-ce que chacun·e n'est pas le·a plus grand·e experte de ce qui va le·a blesser, le·a faire vaciller, le·a plonger dans des doutes qui peuvent torturer? Même si c'est un·e inconnu·e, même si sa lucidité est particulièrement douteuse, je ne suis pas si convaincu que, si la personne croisée "tape là où ça fait mal", vraiment là où sa fait mal comme des pensées négatives peuvent le faire, ce sera si simple de trouver des contre-arguments pour me sentir mieux.
Deux solutions me viennent à l'esprit pour faire avec cette difficulté. La première, c'est de se demander "qui parle?". Les voix intérieures, ce sont souvent, parfois à peine déformé·e·s, des paroles, des injonctions qu'on a beaucoup trop entendues, et qu'on peut associer à une personne très spécifique. C'est un premier pas pour voir d'où elles viennent, mieux comprendre leurs racines, prendre de la distance. La seconde, tant qu'elles sont là, c'est... d'en profiter! Ces pensées, si elles nous font tant de mal, connaissent bien nos vulnérabilités, nos doutes... autant d'éléments à exploiter en thérapie, pour mieux cibler les fissures intérieures à réparer.
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