"Nous avons dans un premier temps tenté de mettre des mots sur le vécu intérieur de nos patients en leur prêtant nos ressentis, ou en déduisant de leurs discours, de leurs expressions, ce qu'ils devaient vivre. Rapidement, nous avons constaté que cette attitude était vécue comme une agression nouvelle." Alessandra Duc Marwood et Véronique Regamey
Cette citation, qui honore les autrices par l'humilité qu'elle révèle, montre à quel point vouloir trop bien faire, même si cette bonne volonté est appuyée par des compétences réelles et solides, peut être contre-productif, voire pire.
Deux dimensions principales se dégagent de ce court exemple, où les thérapeutes ont fait à la place au lieu de faire avec. La première, c'est le sujet du rythme : les patient·e·s ne parlent pas de leur vécu intérieur, pas encore, les thérapeutes tentent de l'extraire de leur discours, alors que ça peut ne pas être le moment, pour un certain nombre de raisons (traumatisme encore trop vif pour ce niveau d'exposition et de conscience, confiance encore trop faible, ...). La seconde, c'est le sujet de l'interprétation : du haut de leur statut, les thérapeutes expliquent aux patient·e·s ce qu'iels sont censé·e·s avoir vécu selon leur propre expérience, selon la théorie, selon une logique ou une autre... alors qu'iels sont, au point que ça peut paraître insolite de le rappeler, les mieux placé·e·s pour savoir ce qu'iels ont vécu.
Je lis ces phrases comme un fort appel à la vigilance. Dans ma pratique, je m'efforce en effet de respecter le rythme de l'autre, en utilisant son vocabulaire, en étant vigilant aux indices (jamais fiables à 100%) qui me renseignent sur le niveau d'insécurité, d'angoisse, en particulier s'il augmente et diminue... Il peut m'arriver de "prêter mes ressentis", de "déduire de leurs discours", mais sous la forme de propositions dont la personne peut s'emparer ou non, qu'elle peut ajuster ou dont elle peut dire qu'elle ne correspond pas à son vécu... Mais c'est un terrain sensible, et cette vigilance doit être de chaque instant pour ne pas me rendre coupable d' "une agression nouvelle" en voulant trop bien faire, aller trop vite.
Les autrices vont encore plus loin, dans ce chapitre et plus généralement dans le livre dont la citation est extraite, Violences et traumatismes intrafamiliaux, et qu'elles dirigent. L'objet de ce chapitre, riche et peut-être inattendu, sur les traumatismes et... les mandalas, est que la parole n'est pas toujours l'outil idéal pour aborder les traumatismes. Le passage par des activités manuelles (mandalas en sable, dessin, ...), par la fiction (un autre chapitre est consacré aux contes, qui permet d'aborder un vécu, consciemment ou non, par la métaphore et donc sans se heurter à sa réalité littéralement insupportable), par la symbolisation à travers des objets ("le rouge pour la colère et le sac à dos car je ne sais pas quoi faire de ma colère. Il faut pardonner mais je ne veux pas pour le moment. Je veux porter ma colère pour ne pas minimiser"), sont autant de modes d'expression qui constituent des opportunités de construire des représentations d'une richesse infinie, et de contourner la brutalité de l'exposition au vécu traumatique.
Et, dans ce cas comme dans un modèle thérapeutique qui passe principalement par la parole, c'est la personne accompagnée qui est au centre, il sera questions de ses représentations et non de celles du ou de la thérapeute, c'est son rythme qui dirige le processus.
コメント