"La thérapie est plus efficace lorsque les buts du thérapeute se limitent au processus de la thérapie et non à son résultat. Je crois que si le thérapeute ressent : "Je veux être le plus présent possible à cette personne ; je veux vraiment écouter ce qui se passe ; je veux être réel dans cette relation", ce sont des buts adéquats pour un thérapeute. Si le thérapeute ressent : "je veux que cette personne surmonte son comportement névrosé. Je veux que cette personne change de telle ou telle façon", je pense que c'est un obstacle à toute bonne thérapie." Carl Rogers
Ces mots de Carl Rogers sont à la fois extrêmement contre-intuitifs pour une personne, cliente ou thérapeute, qui ne connaît pas les principes de l'Approche Centrée sur la Personne, et une évidence pour celles et ceux qui pratiquent l'approche de Rogers. Enfin, ça c'est en théorie. Parce que je suspecte qu'en pratique, tout·e·s les thérapeutes se retrouvent en séance à batailler avec cet équilibre délicat entre accueil et action.
Les thérapeutes ACP, d'ailleurs je l'écris partout sur mon site, sont là pour écouter, pas pour proposer des solutions, ni même pour approuver ou désapprouver ce que dit ou fait le·a client·e, encore moins pour désigner magistralement une porte de sortie du problème. Sauf que cet équilibre, qui a l'air d'aller de soi sur le papier (on fait des reformulations empathiques pendant toute la séance, le·a client·e ressort avec les transformations adéquates après le nombre approprié de séances), relèvent plus de l'équilibrisme, voire du funambulisme, dans la réalité de la pratique. Au point que des expert·e·s chevronné·e·s, comme par exemple Janet Tolan dans un livre dont le titre annonce pourtant un contenu particulièrement terre à terre (Skills in Person-Centred Counselling), prennent bien soin de mentionner que c'est un challenge auquel on ne s'habitue pas.
En effet, être thérapeute, même être thérapeute ACP, c'est nécessairement développer d'autres compétences que l'écoute (ne serait-ce... qu'à force d'écouter des gens se confronter à ce qui fonctionne plus ou moins bien pour eux). Et être thérapeute, a priori, c'est avoir envie d'aider! La thérapie a une dimension relationnelle, je doute qu'on puisse vraiment exercer si on se fiche du résultat, si on ne ressent pas le besoin que la personne accompagnée aille mieux. Et même en sachant pertinemment que le conseil n'est pas la bonne attitude à tenir, et en sachant parfaitement pourquoi ce n'est pas la bonne attitude à tenir, la tentation sinon de brandir une solution, au moins d'orienter dans une direction ou une autre, peut se faire envahissante. Pour ne rien simplifier, des fois, en effet, le conseil est la bonne chose à faire. Mais c'est plus l'exception que la règle. Autre dimension, même quand l'outil thérapeutique est l'écoute, il y a plus de façons de faire qu'on ne pourrait le penser. Est-ce qu'on coupe pour reformuler car quelque chose d'important vient d'être dit, ou est-ce qu'on laisse parler? Est-ce qu'on relève cette contradiction qui peut être la racine d'un travail important? Est-ce qu'on oriente la reformulation sur le contenu, ou sur l'émotion? Si c'est sur l'émotion, est-ce qu'on se contente de la nommer, est-ce qu'on partage le non-verbal qu'on observe, est-ce qu'on explore les sensations corporelles? Est-ce qu'on fait un lien avec ce qui a été partagé à un autre moment, mais qui semble faire écho? Sans surprise, l'écoute active est... active! Il faut donc veiller constamment à être actif·ve, sans l'être trop, sans devancer le processus en cours. La thérapie en huit séances retranscrites par Rogers dans son tout premier livre le montre clairement : si on va trop vite, le·a client·e ralentit.
Et pour les non-rogérien·ne·s, alors? Ceux et celles qui justement font, proposent, utilisent des programmes et des techniques? Je ne peux évidemment pas parler à leur place, mais je vois mal comment iels pourraient aller bien loin, sans le·a client·e : ce qui est proposé doit correspondre au problème à résoudre bien sûr, mais aussi au ou à la client·e, dans l'ici et maintenant, dans sa complexité. Est-ce que la demande formulée est le vrai problème? Est-ce que le problème circonscrit au départ ne va pas en révéler d'autres? Comment le ou la client·e comprend l'investissement qui va lui être demandé? Est-ce qu'iel attend une baguette magique, est qu'iel est prêt·e à changer en profondeur si nécessaire? C'est contre-intuitif, mais si on veut être efficace, "être le plus présent possible à cette personne", "vraiment écouter ce qui se passe", c'est incontournable.
Certes c'est très, très schématique, mais j'aime assez cette idée que les thérapeutes non-directif·ve·s qui s'efforcent de le rester, et les thérapeutes directif·ve·s qui nécessairement doivent passer par de la non-directivité, se rejoignent dans cet équilibrisme délicat.
Comentarii