
"On ne cherche pas à "se remettre d'une rupture", on cherche à guérir de la peste" Sophie Lambda
La fin d'une relation abusive, on pourrait s'attendre à ce que ce soit être submergé·e par l'euphorie, vivre un intense sentiment de soulagement. Ça peut être ça, souvent c'est aussi ça. Mais, sauf exception, ce n'est pas que ça. C'est aussi, généralement, faire face à des périodes de grande douleur, des moments peut-être aussi durs que ce qui a été vécu pendant la relation elle-même, comme Sophie Lambda l'exprime à la perfection dans son excellente BD Tant pis pour l'amour.
Les raisons sont multiples. Une première raison, dont elle ne parle pas mais qui est importante, est la réalité physique, matérielle, de la séparation. Le moment de la séparation est en effet le moment où le risque de violences physiques, voire de meurtre, est le plus élevé. Se séparer d'une personne qui nous maintenait dans un état de pression H24, c'est souvent redouter, potentiellement à juste titre, de la voir surgir à n'importe quel moment. De plus, les violences conjugales sont aussi souvent des violences financières, qui exposent à la dépendance et la précarité. Le départ ne se fait donc pas nécessairement dans de bonnes conditions. Sans compter que la personne violente utilise souvent tous les moyens de pression à sa disposition : harcèlement, manipulation de proches, utilisation des enfants en commun s'il y en a... En d'autres termes, l'agresseur·se ne cesse pas d'agresser avec la séparation.
La seconde raison, c'est ce qui a eu lieu pendant la relation. Je cite à nouveau Sophie Lambda : "Les manipulateurs chamboulent tout. Et après leur passage, il faut tout reconstruire.". L'emprise se crée en exploitant les vulnérabilités, en ouvrant d'autres blessures, mais surtout en tailladant, encore et encore, les plaies existantes. Cette destruction se fait bien entendu dans les moments négatifs (le dénigrement, répété encore et encore -la répétition a malheureusement un effet extrêmement efficace sur le cerveau-, les reproches qui vont cibler ce qui est important pour la personne sous emprise -"on ne peut pas compter sur toi", "regarde le mal que tu fais à mes enfants", "tu me fais du mal comme mes ex, tu m'avais fait croire que notre histoire était différente", ...-), mais aussi dans les moments positifs, quand la multiplication des compliments, des preuves d'amour, qui parfois colmataient des souffrances et un vide intenses, s'avèrent s'être appuyées sur du vide, être une représentation au service de l'emprise.
Enfin, les relations abusives génèrent des traumatismes. L'hypervigilance, les violences psychologiques et éventuellement physiques, endurées sur le long terme, laissent des traces. Lorsque le quotidien n'est, enfin, plus consacré à la survie, les séquelles apparaissent, parfois lourdes. Elles guérissent, mais ça prend du temps (c'est particulièrement bien raconté dans Le monstre - la suite, d'Ingrid Falaise).
"On ne cherche pas à "se remettre d'une rupture", on cherche à guérir de la peste", donc... Mais guérir de la peste, ça en vaut tellement la peine, même si c'est dur.
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