"Quand j'entends un thérapeute d'une autre pratique dire "Je suis passé par Rogers, mais je l'ai dépassé", je me dis "l'a-t-il vraiment atteint?" Moi, je ne l'ai pas atteint." Bérénice Dartevelle
Sans aller, comme l'autrice de cette citation, co-fondatrice et première présidente de l'AFP-ACP, jusqu'à associer l'Approche Centrée sur la Personne à "la Vie", cette courte citation évoque de façon particulièrement éloquente l'écart, frappant, entre la surface et la profondeur de l'approche de Carl Rogers.
Les procès en simplisme ou en naïveté ont en effet été nombreux pour cette méthode thérapeutique qu'on pourrait presque résumer en une phrase ("reformuler ce que la personne vient de dire, en axant sur l'émotion"), voire en deux mots ("écouter, restituer"). Une plaisanterie sur l'ACP dit d'ailleurs que ça consiste à répéter les trois derniers mots prononcés par le·a client·e. Voilà pour la surface.
Sauf que même cette surface est plus difficile à maîtriser qu'il n'y paraît. Dans une conversation normale, on interrompt, on donne son avis, on compare avec sa propre situation ou son propre passé, on se demande si on est d'accord avec la personne... Tout ça, en formation, on apprend à l'inhiber, et ça prend du temps.
Aspect bien plus complexe, reformuler en axant sur l'émotion, ça implique de saisir l'implicite, de vraiment ressentir là où la personne en est. Et par ailleurs, s'il n'y a pas de connexion émotionnelle, si le langage non verbal du ou de la thérapeute n'est pas approprié, même si la reformulation est techniquement la bonne, ça fait flop. Donc même en s'arrêtant à ce niveau là, il y a une dimension relationnelle qu'il est effectivement plutôt orgueilleux d'estimer avoir dépassée.
Mais, comme je l'ai indiqué, tout ça, c'est la surface. Je vais citer à nouveau Bérénice Dartevelle (dans la même conférence en 1997, citée dans le magazine Trait d'Union n°58) pour introduire la dimension plus profonde : "La méthode n'est pas "abstinente", mais rigoureuse. Ce sont les personnes qui sont abstinentes, si elles utilisent cette approche comme une "planque", une protection. L'Empathie, la Congruence, l'Acceptation Inconditionnelle et la Qualité de Présence ne sont pas "abstinence". Et elles sont développables à l'infini."
En effet, dans un premier temps de la formation, on apprend à inhiber. Mais l'Approche Centrée sur la Personne est par essence relationnelle. Dans un deuxième temps, on apprend à mettre de soi dans la relation thérapeutique, mais d'une façon qui est nourrie, mise en mouvement par l'écoute, et non qui la précède ou la remplace.
Une étude linguistique des entretiens de Carl Rogers a permis d'identifier qu'avec le temps, ses interventions devenaient de plus en plus personnelles. Et souvent, les moments les plus intenses en thérapie sont ceux où client·e et thérapeute se rencontrent, profondément, sur une intervention qui vient d'un sentiment indéfinissable de connexion, dont le choix n'a pas vraiment d'explication a priori mais dont le sens prend toute sa clarté après coup, dans la rencontre qu'elle a permis.
Pour le dire beaucoup plus rapidement, la thérapie en Approche Centrée sur la Personne est une thérapie par la relation, et qui peut sérieusement affirmer avoir dépassé la relation?
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