
Se former pour être thérapeute, c'est ingurgiter beaucoup de connaissances, mais c'est aussi un parcours personnel, avec des découvertes, des surprises, qui vont modifier, parfois radicalement, ce qu'on estime être censé·e faire en tant que thérapeute et/ou la façon la plus pertinente de le faire. Dans cette rubrique, qui devrait comporter si tout va bien un article par mois, je vais parler de livres qui m'ont fait cet effet.
Premier confinement (hiver 2019-2020, toi-même tu sais...), pas mal de fatigue mentale, et ce livre d'Irvin Yalom (je n'en avais encore jamais lu d'autre) est le prochain sur ma pile de livres à lire. Je suis intrigué, et j'ai la flemme (parce que j'ai la flemme d'à peu près tout). Je suis intrigué parce que je me demande bien à quoi peuvent ressembler les textes de quelqu'un qui a une telle reconnaissance à la fois du grand public et des professionnel·le·s (le très rigoureux Mick Cooper l'appelle "le maître"), et je m'attends à une lecture facile parce que c'est un auteur de best-sellers.
Pour la lecture facile, ça a été la douche froide! Entre les réflexions philosophiques exigeantes et les revues de littérature scientifique, le texte est dense, le confort n'est jamais là (aujourd'hui c'est pour cette compétence unique à balayer les certitudes de façon pertinente que je suis impatient à chaque fois que je m'apprête à lire un texte de Yalom, mais là j'ai été pris par surprise), et pour ne rien arranger la première partie concerne la mort et s'appuie en grande partie sur l'expérience clinique de l'auteur auprès de personnes atteintes de cancer. Pour du feel-good en période de pandémie, c'est le top! Je m'attendais plus ou moins à un chocolat chaud (surtout parce que j'en avais envie), je me retrouve avec un seau de glaçons versé sur la tête!
Le temps de m'en remettre (d'un côté j'avais le temps, c'est un pavé d'à peu près 500 pages), j'avais beaucoup plus de gratitude. Déjà, évidemment, pour la qualité considérable du texte, que ce soit dans les questionnements soulevés ou la solidité du contenu. Mais aussi pour les implications de ses thématiques, de son regard! Alors que la psychopathologie, de façon générale, est une négociation entre un regard normatif (telle pathologie est une pathologie parce qu'elle provoque des comportements inadaptés) et un souci d'atténuation de la souffrance (telle pathologie est une pathologie parce qu'elle fait souffrir les personnes concernées), et fait donc par définition une distinction entre les porteur·se·s de pathologie et les autres, le regard existentialiste se demande ce que la psychothérapie peut apporter... au statut d'être humain!
Être mortel·le et savoir qu'on l'est, devoir faire des choix donc des renoncements, trouver un sens à sa vie, être nécessairement seul·e à être soi, ça concerne sauf erreur de ma part tout le monde... et pourtant, niveau questionnements, voire angoisses, il y a de quoi s'occuper avec ces thèmes là! Et ce sont par ailleurs des pistes qui peuvent nourrir le regard sur des pathologies pour le coup identifiées comme telles comme l'anxiété, la dépression, ou une infinité d'autres.
Faire un pas plus loin du modèle médical qui a pour objet de mettre un traitement en face d'un symptôme, respecter pleinement (parfois plus qu'elle ne le voudrait) l'autonomie de la personne accompagnée, accorder toute leur place dans l'espace thérapeutique à des sujets qui a priori peuvent difficilement être soignés (comme le fait d'être mortel·le), donner toute leur centralité aux choix... ça en fait, des échos, à l'Approche Centrée sur la Personne! Pourtant, même si c'était intégré à ma formation, je n'avais jusqu'ici fait ces liens que de manière confuse.
Je n'ai donc pas eu la lecture facile, voire distrayante, que j'attendais. Mais une nouvelle dimension, essentielle, s'est ajoutée à ma perception de la pratique de thérapeute. Contexte de fatigue mentale et de pandémie ou non (peut-être encore plus dans un contexte de fatigue mentale et de pandémie), j'ai gagné au change!
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