
Se former pour être thérapeute, c'est ingurgiter beaucoup de connaissances, mais c'est aussi un parcours personnel, avec des découvertes, des surprises, qui vont modifier, parfois radicalement, ce qu'on estime être censé·e faire en tant que thérapeute et/ou la façon la plus pertinente de le faire. Dans cette rubrique, qui devrait comporter si tout va bien un article par mois, je vais parler de livres qui m'ont fait cet effet.
Tel·le étudiant·e est dans la fac A. La seule information qu'on a sur cette personne est un test de personnalité peu fiable, qui correspond vaguement au stéréotype de la personnalité qu'aurait un·e informaticien·ne. Dans quelle filière a-t-iel le plus de chances d'être? La réponse est presque dans la question : la seule information fiable est qu'iel est dans la fac A, donc la filière où iel a le plus de chances d'être est la filière où il y a le plus d'étudiant·e·s. Pourtant, même un professeur de statistiques, particulièrement bien placé pour avoir ce genre de raisonnement, fonce, quand l'auteur lui pose la question, dans le piège tendu et s'empare de l'information inutile mais ostensible que l'étudiant·e semble être étudiant·e en informatique.
Exemple plus connu des étudiant·e·s en psycho, Linda est une femme intelligente, qui a bien réussi ses études, à la forte personnalité, très préoccupée par la justice sociale. Est-ce qu'elle a plus de chances d'être banquière, ou banquière et féministe? La réponse est évidente : si elle est banquière et féministe, elle est forcément banquière, donc elle a par définition plus de chances d'être banquière, si probables que soient ses convictions féministes. Pourtant, l'écrasante majorité des personnes qui passent le test se trompent.
Dans cet exemple, et d'autres, l'auteur montre de façon extrêmement désobligeante à quel point nos raisonnements quotidiens échappent à la logique, mais surtout qu'ils le font sans que ce ne soit perçu. Même l'expertise, si elle permet de mieux connaître un sujet, n'annule pas ces automatismes dont une infinité sont énumérés dans le livre. Le rapport entre les biais cognitifs et la thérapie? Je viens, précisément, de parler d'expertise!
Développer une expertise dans un modèle de thérapie, c'est développer une grille de lecture, certes fonctionnelle, certes qu'on peut enrichir, mais qui reste une grille de lecture pour expliquer comment l'être humain se développe, interagit avec le monde et les autres, dysfonctionne, va mieux... Certain·e·s thérapeutes oublient d'ailleurs vite que d'autres grilles de lectures tout aussi pertinentes existent, mais c'est un autre sujet. Cependant, une grille de lecture ne peut pas rendre compte de la complexité de l'univers de chacun, de sa diversité. Et l'ouverture, l'humilité, sont une bonne solution, particulièrement compatible avec la montée en expertise, pour ne pas passer trop facilement à côté de quelque chose d'important, pour ne pas s'enfermer dans une thérapie qui ne fonctionne pas. C'est probablement pour cette raison que les auteur·ice·s du manuel de la recherche et de la pratique dans les thérapies humanistes recommandent fortement voire fermement une pratique intégrative.
J'ai la chance de pratiquer une thérapie qui repose sur l'écoute (en plus d'être objectivement la meilleure de toutes). Comment mieux s'ouvrir qu'en laissant venir à soi ce que le·a client·e va nous dire? Pourtant, même en Approche Centrée sur la Personne, le piège peut vite se refermer : "ah, c'est ce sujet là, je vois comment ça va se passer", "ah, ce fameux ressenti, ça ne va pas rater, je ne vais pas tarder à apprendre que c'est pour telle cause", "le·a client·e a mal compris sa situation parce que c'est là qu'iel en est, c'est classique, ça ira mieux au fur et à mesure des séances". Se sortir du confort de l'expertise est un geste actif, délibéré, mais les récompenses sont généralement là. L'humilité est un outil thérapeutique, même quand on pourrait croire qu'elle est là par définition.
Comments