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Photo du rédacteurGrégoire Taconet

Les livres qui m'ont marqué : Les mots sont des fenêtres (ou bien ce sont des murs), de Marshall Rosenberg


Couverture de la version originale du livre. "Nonviolent communication, a laguage of life" Deux bulles de bande-dessinée (l'une verte, l'autre rouge) se croisent. L'espace où elles se croisent est en violet et contient le texte : "A language of life"


 Se former pour être thérapeute, c'est ingurgiter beaucoup de connaissances, mais c'est aussi un parcours personnel, avec des découvertes, des surprises, qui vont modifier, parfois radicalement, ce qu'on estime être censé·e faire en tant que thérapeute et/ou la façon la plus pertinente de le faire. Dans cette rubrique, qui devrait comporter si tout va bien un article par mois, je vais parler de livres qui m'ont fait cet effet.


Au cours de ma formation, le constat s'est vite imposé, probablement exacerbé par les avancées dans d'autres domaines, que j'avais vraiment, mais alors vraiment, du mal avec le conflit. Ça tombe bien, la Communication Non Violente, c'est spécialisé sur ce sujet là, et c'est dérivé de l'Approche Centrée sur la Personne. C'était donc une évidence de me pencher dessus, sauf que... Sauf que, justement, comme j'avais énormément de mal avec le conflit, le nom même m'agaçait et me paraissait naïf, comme s'il prétendait gommer une réalité, ce que je n'apprécie vraiment pas de façon générale. Sauf que, pour ne rien arranger, ces histoires de chacal et de girafe dont j'avais vaguement entendu parler me semblaient très infantilisantes (les images de Marshall Rosenberg des marionnettes/peluches à la main en conférence n'ont pas aidé!). Mais j'étais conscient que je partais de loin, j'ai donc fini par ravaler (un peu, d'ailleurs je les ai mises de côté plutôt que ravalées) mes réserves et sauter le pas.


200 courtes pages, qui franchement se lisent bien, plus tard, mes préjugés étaient derrière. Le procès en naïveté est compliqué à faire quand la technique a été appliquée dans le cadre de conflits armés entre nations, entre des gangs, auprès de lycéens violents, ou même pour résoudre un sujet de dispute récurrent depuis 39 ans dans un couple. Par ailleurs, Rosenberg sait être très direct et a un humour auquel j'adhère beaucoup.


La technique a l'air simpliste : identifier le besoin derrière la colère, l'exprimer sans jugement ("quand tu me coupes la parole plusieurs fois de suite, je me sens rabaissé"), faire une demande claire ("j'aimerais que tu me laisses finir mes phrases quand je te le demande") tout en étant prêt·e à accepter un "non", et vérifier les besoins de l'autre ("tu as du mal à me laisser finir mes phrases parce que c'est compliqué pour toi quand la conversation ne va pas à ton rythme"). Oui mais... les subtilités sont nombreuses, et se font vite sentir avec la pratique. Par exemple, chaque étape est important, et est plus difficile à faire correctement qu'il n'y paraît (la demande claire, par exemple, doit être dénuée de jugement, doit inviter à faire plutôt qu'à ne pas faire quelque chose...).


Mais la vraie puissance de la CNV, selon moi, c'est qu'elle redonne de l'importance aux besoins. Dans un contexte de conflit, un déclencheur (pour Rosenberg, le déclencheur et la raison sont deux choses différentes) dérive vite vers un jugement sur l'autre, qu'on peut avoir très envie de lui faire intégrer... étonnamment, il arrive que ce soit mal accueilli. La Communication Non Violente invite à se centrer dans un premier temps sur soi. En cohérence avec l'Approche Centrée sur la Personne, elle met les émotions et la subjectivité au centre, pour dans l'idéal aboutir à un échange "de cœur à cœur".


Je ne suis absolument pas capable de pratiquer (ça demande de l'entraînement, tout comme... l'Approche Centrée sur la Personne!) et j'ai d'ailleurs bien envie de me former, mais le changement de regard proposé m'a énormément nourri. J'y vois pour autant une limite forte, qui il me semble n'a pas été identifiée par son créateur : son application, pour moi, nécessite un rapport de force à peu près équivalent. Si vif que soit le conflit, il faut que toutes les personnes concernées aient un intérêt à sa résolution. De la même façon que la thérapie de couple est déconseillée et dangereuse dans le cas de relation abusive, je pense que si l'une des personnes concernées a des intentions destructrices (harcèlement moral, racisme, sexisme, ...) et que le rapport de forces est déséquilibré, la Communication Non Violente peut faire énormément de mal. En dehors de cette limite qui reste importante, la méthode, derrière une simplicité apparente (celle-là même qui m'avait fait être très réservé au début), est riche autant au niveau théorique qu'au niveau pratique.

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