Se former pour être thérapeute, c'est ingurgiter beaucoup de connaissances, mais c'est aussi un parcours personnel, avec des découvertes, des surprises, qui vont modifier, parfois radicalement, ce qu'on estime être censé·e faire en tant que thérapeute et/ou la façon la plus pertinente de le faire. Dans cette rubrique, qui devrait comporter si tout va bien un article par mois, je vais parler de livres qui m'ont fait cet effet.
J'avais connu François Roustang par ses interventions dans le coffret DVD "Être psy" et j'avais été marqué par son attitude cash, et aussi le fait que quand il a démarré la thérapie, c'était pour lui une question de vie ou de mort... de quoi marquer sa carrière du signe de l'exigence! Mais ça, c'était longtemps avant d'avoir le livre entre les mains, et entre le titre obscur et mon besoin de repos mental (c'était la période du confinement), l'enthousiasme se faisait discret.
Si le titre déstabilise sur la forme, il décrit pourtant très bien le propos du livre. Au début de la thérapie, il y a une distance de fait entre un·e thérapeute qui joue son rôle de thérapeute, donc qui met en avant son statut, sa fonction, sa technique, et un·e client·e qui arrive avec sa représentation du ou de la thérapeute (de ce qu'iel fait, pense, de comment iel est censé·e travailler...). C'est le temps de la rencontre qui va permettre à ces représentations de s'ajuster, de laisser la place, au final, à une relation qui sera aussi une relation de personne à personne. Celui ou celle qui portait un masque de professionnel·le va pouvoir faire rire, le·a client·e qui se protégeait, potentiellement jusqu'à la paranoïa, va pouvoir rire.
Pour François Roustang, ce mouvement est profondément thérapeutique. D'une part, parce que dans une lecture classique du concept de transfert en psychanalyse, pour lui, les représentations du ou de la thérapeute disent beaucoup. Renoncer, progressivement, à ces représentations, c'est changer plus généralement de représentation du monde, et des symptômes. C'est, dans l'absolu, se responsabiliser, accepter de changer ("tant que demeure le transfert nous sommes tendus vers l'autre tout-puissant auquel nous demandons la reconnaissance","la tentation de se plaindre vient d'être retirée à l'analysant, celle d'attribuer ses malheurs"). Mais ce mouvement implique une relation, donc, par définition, un changement des deux côtés : "la fin de l'analyse commence par la modification de l'analyste".
Je n'utilise pas la même approche que l'auteur mais, évidemment, en tant que thérapeute ACP, son livre me parlait énormément : une authenticité qui ne se dévoile qu'en prenant le temps de la relation thérapeutique, être vraiment soi, devant l'autre, comme signe et résultat du changement, c'est pour le moins conforme aux principes de Carl Rogers!
D'autres lectures, depuis, et l'expérience aussi, m'ont fait évoluer dans ma vision de la relation thérapeutique. De plus en plus, je mets la théorie de l'attachement au centre. Pour aller vite, la clef du changement, y compris l'accès à une authenticité profonde, c'est le sentiment de sécurité, l'expérience d'être accepté·e pour qui on est soi, et surtout la certitude qu'on ne va pas être rejeté·e. Le livre de Roustang reste très important pour moi, et d'ailleurs on peut observer que Carl Rogers lui-même faisait de plus en plus d'interventions personnelles, au détriment des interventions qui auraient été attendues techniquement, au fur et à mesure de sa carrière, mais je ne le mets plus au premier plan. A moins que, plus simplement, l'un (l'authenticité) ne puisse s'articuler à l'autre (la sécurité)?
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