"Faites confiance aux jambes." Lucien Tenenbaum
Cette recommandation a été répétée plusieurs fois dans une conférence que le psychiatre donnait à l'occasion des 25 ans de l'AFP-ACP. Il ne s'agissait pas d'un serial-killer ayant pour habitude de converser avec les membres de ses victimes et voulant indiquer quelles parties du corps étaient plus ou moins fiables d'un point de vue relationnel, mais bien de l'énonciation d'un positionnement thérapeutique.
Pour de multiples raisons, la relation thérapeutique peut en effet être semée d'embûches, ou encore être particulièrement sportive dès le début. Ça peut être parce que la thérapie stagne, que le·a client·e ressent le besoin de tester les limites du ou de la thérapeute pour s'assurer qu'iel ne va pas être rejeté quand iel ne s'y attendra pas, parce que quelque chose de spécifique se joue dans cette relation, parce que le·a thérapeute est la seule personne envers qui le·a client·e peut exprimer de l'hostilité sans prendre de risques, ... Et quand la situation s'étend dans le temps, que peu de progrès thérapeutiques sont visibles, le découragement peut s'installer alors que précisément client·e et thérapeute font face à une difficulté importante qui par définition nécessite de rester mobilisé.
L'une des façons de baisser les bras la plus tentante, ça peut être d'estimer que le·a client·e n'a pas suffisamment envie de changer. Le concept de résistance en psychanalyse peut contribuer à rapidement céder à cette tentation. Gillian Proctor, thérapeute et enseignante en Approche Centrée sur la Personne, l'a vécu en tant que cliente : chaque fois qu'elle disait que quelque chose n'allait pas, c'était de la résistance. Mais je suis convaincu que toutes les approches contiennent, directement ou indirectement, les outils pour faire basculer la faute sur le·a client·e.
Cette citation m'en évoque une autre très proche : "un·e client·e pas motivé·e, ça n'existe pas" (ne le répétez pas, c'est celle que j'avais prévu de mettre mais impossible de retrouver l'auteur·ice). Pour moi ces affirmations n'ont pas de valeur tant en tant que vérité, qu'en tant que positionnement. Après tout, même si c'est infiniment plus plausible d'imaginer qu'une personne qui s'investit dans une thérapie est motivée, c'est autre chose d'affirmer que, dans toutes les thérapies en cours de l'Univers, il n'existe absolument aucune personne qui n'est pas motivée. Mais la force du raisonnement est que comme une boussole il réoriente l'attention face à la difficulté, quand on est en train de se perdre.
Certes ça bloque, et ce sentiment d'être englué·e, de ne pas parvenir à aider, d'avoir mis en place telle et telle solution en vain, est pénible, éprouvante. Mais la personne est encore là, avec nous, continue de venir. C'est indispensable, pour sortir de l'impasse, d'explorer ce qui se joue ou peut se jouer dans ce blocage, mais en gardant à l'esprit que la personne vient, et donc qu'il y a, nécessairement, une alliance, que les solutions sont cherchées ensemble, quelle que soit la forme potentiellement paradoxale que ça prend. Et s'il y a une alliance, il n'y a plus de raison de baisser les bras.
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