Citation de la semaine 41
- Grégoire Taconet
- 15 avr.
- 3 min de lecture

"La philosophie bouddhiste désigne les attachements comme source de souffrance, et encourage à ce qu'on pourrait appeler le non-attachement. Mais la formule exacte serait peut-être : "ne pas s'accrocher", plutôt que "ne pas s'attacher"." Christophe André
Christophe André, dans cet extrait de son livre Consolations, met en mot l'aspect paradoxal de ce qui est pourtant un pilier de nombreux modèles de thérapie.
L'acceptation, le lâcher-prise (qui plutôt que de démobiliser permet de se mobiliser aux bons endroits), la position d'observateur·ice à laquelle invitent des modèles aussi divers que la méditation ou l'Approche Centrée sur la Personne ("je constate que je ressens, émotionnellement ou physiquement, telle ou telle chose"), sont des outils précieux. Ils protègent contre le risque d'être submergé·e par un problème ou un ressenti, permettent de changer de regard et d'être plus flexible sur la recherche de solutions : "je n'en peux plus de cette musique qui m'empêche de me concentrer, si seulement elle pouvait s'arrêter!", c'est une pensée plus éprouvante que "cette musique m'empêche de me concentrer, je le vis très mal parce qu'il n'y a pas beaucoup de moments où je peux réviser, qu'est-ce que je peux faire?". Pour autant ça reste une prise de distance, et on peut s'interroger sur l'idée qu'il y a derrière.
En effet, incontestablement, si rien ne m'atteint, je suis invulnérable ("It's funny how some distance / Makes everything seem small", s'extasie une princesse avec peut-être trop d'enthousiasme dans une chanson qui a été beaucoup entendue). Sauf que, comme le formule à juste titre la thérapie d'acceptation et d'engagement qui invite à éviter les objectifs qui pourraient être accomplis par une personne morte, si je ne ressens rien, je ne vis pas tellement non plus. Et cette armure magique, si elle est trop efficace, pire si elle devient confortable, peut aussi être source de souffrances, c'est décrit magistralement, par exemple, dans le livre Le chevalier à l'armure rouillée.
Les termes d'acceptation, de lâcher-prise, de prise de distance, a fortiori de détachement, s'ils ont l'avantage de la clarté, induisent en erreur. Comme dans la théorie... de l'attachement, où plus de sérénité, un rapport plus apaisé à la séparation, permet de mieux être en lien avec l'autre, ces outils thérapeutiques permettent, plus que de n'accorder de l'importance à rien, de mieux choisir à quoi on accorde de l'importance, de mieux écouter nos vrais besoins.
Si j'observe que je ressens telle ou telle émotion, je tourne le regard vers moi, plutôt que vers ce qui la déclenche, et le problème est posé différemment. Accepter une douleur chronique, ce n'est pas y être indifférent·e, mais se débarrasser, dans la mesure du possible, de l'obsession de souhaiter la voir partir, pour orienter son attention vers des choses plus positives et réalistes (je ne suis évidemment pas en train de dire que c'est facile, et je ne suis certainement pas en train de dire qu'il faut dire aux personnes qui parlent de leurs douleurs chroniques qu'elles n'ont qu'à accepter et ça ira mieux). Accepter qu'une personne chère est partie, c'est garder son souvenir, comme une cicatrice, sans que son absence ne soit insupportable (et ça prend du temps, c'est un processus qui ne peut pas être brusqué).
Ne pas s'attacher permet donc... de mieux s'attacher. En effet, c'est bien plus clair avec la formulation de Christophe André : ne pas s'accrocher, permet de mieux s'attacher. Libérez vous, à votre rythme, de vos souffrances, mais pas de votre capacité à ressentir.
Коментарі